Rencontre avec…
Norman Taylor

Norman Taylor : itinéraire d’un Britannique gâté (1er trimestre 2010).

Il y a un début à tout

Après une adolescence qui lui donne l’occasion de se frotter à toutes sortes de métiers (chauffeur, ouvrier agricole, assistant de laboratoire, joueur de rugby…), Norman Taylor – que, très tôt, la pédagogie intéresse – opte finalement pour l’enseignement et, après avoir suivi la formation correspondante, se retrouve instituteur dans une école primaire londonienne.

Déjà mû par un intérêt poussé pour le mouvement, rêvant, comme le font les mimes, de pouvoir tout dire sans prononcer un seul mot, il passionne très vite ses petits élèves. À telle enseigne que les enfants se réjouissent de partir à l’école et que les parents s’en étonnent.

C’est qu’ils ne connaissent pas encore les ressources de ce pétillant britannique qui, à ses heures perdues, fait un peu de théâtre amateur.

C’est dans ce cadre qu’il entend parler d’une école de théâtre parisienne qui fait la part belle au mouvement du corps humain. Il n’en fallait pas plus pour décider Norman Taylor à faire sa valise et à partir pour Paris.

Le corps a ses raisons…

Candidature posée, candidature acceptée. Le petit anglais qui rêvait d’une carrière de mime se retrouve ainsi, en 1976, catapulté dans la capitale française pour y suivre les cours de Jacques Lecoq.

Le voilà, dans ses petits souliers, au milieu d’acteurs anglais maîtrisant Shakespeare, et donc plus aguerris que lui. Mais, comme la suite de l’histoire vous l’apprendra, eux sont partis ; lui est resté.

Jacques Lecoq, c’est quoi ? Essentiellement, une pédagogie théâtrale inédite et innovante, qui fait la part belle au mouvement. Tout ce qui bouge l’intéresse ; dans son école, le mouvement est roi.

Très tôt, cet ancien professeur d’éducation physique s’intéresse au langage des gestes et à l’analyse des mouvements, thèmes qui constitueront le fondement de son école de théâtre. L’idée est de faire en sorte que le jeu physique du comédien soit bien présent. Sa pédagogie, en effet, repose essentiellement sur la dynamique du mouvement ; elle engage le corps, premier élément de reconnaissance du vivant.

Une vocation qui s’ébauche

Au contact de Jacques Lecoq (dont il pérennise encore aujourd’hui l’héritage), Norman Taylor, insensiblement, affine sa réflexion. Le concept « mime » commence, pour lui, à prendre d’autres significations. La notion d’espace s’impose ; l’importance du mouvement le fascine. Il a trouvé sa voie : le théâtre physique.

La base de la réflexion : les mouvements naturels que nous effectuons au quotidien révèlent nos caractères, nos intentions, nos craintes, nos envies… Ils nous engagent vis-à-vis du monde qui nous entoure.

En effet, l’idée de départ est la suivante : un mouvement quel qu’il soit n’est pas aussi anodin qu’il y paraît. Car tout mouvement physique se développe, se transforme, se transcende et devient autre chose qu’un simple mouvement. Il révèle notre personnalité, notre intention, notre sentiment… et, à ce titre, permet aux êtres humains que nous sommes de se reconnaître et de se rencontrer.

Les questions qui se posent : l’homme est-il capable de reconnaître le monde qui l’entoure ? Capable d’observer ce qui se passe sans se forger ipso facto une opinion ? Capable d’analyser le résultat de ses observations ? Capable de se rendre compte de ce qu’il a observé et analysé ?

On aura compris l’intérêt énorme de cette démarche, outil pédagogique hyper performant pour le comédien auquel il ouvre le chemin de la création. De fait, il apprend à l’acteur (chargé de véhiculer au mieux un sentiment) la justesse, la force et le rayonnement de sa présence dans l’espace. Il lui permet d’être convaincu et convainquant sur scène.

Une vocation qui se précise

Deux ans de formation chez Jacques Lecoq permettent à Norman Taylor de se familiariser, puis de s’approprier cette technique, à la suite de quoi il commence à former des troupes à et créer des spectacles.

Mais l’homme est perfectionniste. Son intérêt pour l’analyse – et, par la suite, la technique – du mouvement est tel qu’il n’hésite pas à suivre, de 1981 à 1982, la 3e année pédagogique. Au terme de celle-ci, Jacques Lecoq lui propose d’intégrer l’équipe de formateurs ; il enseignera à ses côtés de 1982 à 2000 en tant que professeur d’expression corporelle, continuant d’affiner l’analyse des mouvements, la technique du mouvement et l’improvisation en tant qu’outils pédagogiques de la formation artistique.

Dans cet établissement, il côtoie un autre professeur, Lassaâd Saïdi, qui, plus tard, l’engagera comme collègue dans l’école internationale de théâtre qu’il créera en 1983 à Bruxelles, animé par un légitime besoin d’élargissement.

Voler de ses propres ailes

Après le décès de Lecoq, Norman Taylor ressent le besoin d’explorer d’autres horizons. Il quitte donc l’école et se lance comme freelance, une activité qu’il poursuit encore aujourd’hui.

Ses compétences l’amènent à faire profiter des comédiens professionnels de ses acquis. Ce britannique voyageur anime des stages dans plusieurs pays d’Europe (Autriche, Allemagne, France, Espagne, Portugal, Finlande…) ainsi qu’en Argentine, au Canada et aux États-Unis.

Il n’en néglige pas pour autant les amateurs puisqu’il travaille avec différentes troupes en Belgique (en collaboration avec le TAP’s), en Autriche, en Espagne, en Finlande et au Portugal.

Notre dynamique professeur de jeu théâtral ne se borne pas à la formation de comédiens ; il s’exerce aussi avec brio à la mise en scène.

L’homme orchestre

Mais le rayon d’action de ce spécialiste du mouvement scénique ne se limite pas au monde du théâtre et du cinéma ; il fait profiter d’autres secteurs de ses connaissances, animant bon nombre de formations en entreprises.

Norman Taylor, en effet, s’adresse à tous ceux que la pédagogie de la vie intéresse. Destinés aux enseignants, conseillers, ingénieurs, cadres supérieurs, responsables des ressources humaines…, il anime des ateliers qui ont pour thème « La prise de parole en public », « La négociation », « L’évaluation annuelle », « Comment donner du feedback positif »…

Ce passionné infatigable donne aussi des conférences participatives, comme celle dont il a fait profiter le public namurois lors du dernier « Festival des Théâtres d’Amateurs » en août dernier, sur le thème «Voyons-nous ce que nous regardons » ? Florilège de trucs, d’astuces, de remarques pertinentes et d’humour anglo-saxon dont le public de la Maison de la Culture a été particulièrement friand.

Le rôle change, mais la quête reste : observer le mouvement, puis en dégager une méthode dans le but de mieux partager avec ceux qui le souhaitent les richesses insondables et inépuisables de cette approche.

Ad augusta per angusta

Terminons par une conclusion boîteuse que se permet l’auteur de cet article qui, bêtement, s’imaginait pouvoir, en quelques feuillets, expliquer de quoi il retourne. Une gageure dans laquelle elle s’est engagée sans trop de réflexion préalable. Mea culpa ! Que le lecteur lui pardonne.

En effet, tout au long de ce reportage, nous n’avons fait qu’ébaucher la pédagogie de Jacques Lecoq et, partant, de Norman Taylor. Nous aurions aimé nous étendre davantage sur le sujet et aborder, par exemple, le corps poétique, le masque neutre, la mimodynamique. Malheureusement (faute de place et aussi – avouons-le ! – faute de compétences), nous avons dû nous limiter à ce que nous avons estimé être l’essentiel.

Toutefois, même en contingentant nos prétentions, nous avons eu du mal à développer le sujet tant il est ardu d’expliquer les choses simples. Et nous serions très peinés si, au terme de votre lecture, vous déduisiez que cette théorie du mouvement paraît bien complexe et bien absconse. Il n’en est rien !

En tout cas, ça a l’air simple. Pour avoir vu Norman Taylor à l’œuvre, nous pouvons vous certifier que son approche est des plus pragmatiques, en prise directe avec la réalité et à la portée du commun des mortels. Mais faire passer le difficile avec simplicité, n’est-ce pas la marque des grands ? Bravo, Norman !

Françoise OTWASCHKAU