Nous avons rencontré Monsieur Alain Rochette du Théâtre de l’Aube – Ruelle aux Baladins à Namur, qui a bien voulu répondre à nos questions (2e trimestre 2009).
Voulez-vous vous décrire et, par la même occasion, nous dire comment vous êtes arrivé au théâtre ?
En ce qui concerne le théâtre, je suis un peu comme Obélix : je suis tombé dedans étant petit. À l’âge de 7 ans, dès que j’ai pu lire et écrire, ma mère m’a inscrit aux cours de diction de l’époque. J’ai suivi ces cours et, au même âge, je montais sur scène pour mon premier spectacle : j’étais Ali-Baba dans « Ali-Baba et les quarante voleurs ». J’en garde cependant un souvenir un peu vague. Puis, j’ai suivi la filière habituelle de l’époque : cours de diction, déclamation, art dramatique et, finalement, le Conservatoire de Bruxelles.
À l’âge de 22 ans, j’ai fondé le « Théâtre de l’Aube », qui est une troupe semi professionnelle et, pendant des années, j’ai tourné avec cette troupe dans toute la partie francophone de la Belgique. Ensuite, un problème de santé a fait que j’ai dû arrêter pendant deux ans toute activité aussi bien théâtrale que professionnelle. A la suite de cela, j’ai été mis à la pension.
À ce moment-là, j’ai dû imposer de nouvelles limites à ma santé et j’ai commencé à jouer pour d’autres. J’ai laissé un peu tomber le Théâtre de l’Aube. Cela a duré deux ans. J’ai joué pour différentes troupes à Charleroi. Et là, un jour, après un spectacle, en parlant avec un des comédiens, celui-ci m’a dit : « Tiens, je suis passé à Namur et j’ai vu un petit entrepôt derrière un café, dans lequel on pourrait très bien installer une petite salle de spectacle ». Le lendemain, j’y étais et je visitais l’endroit, qui n’était pas du tout comme il est maintenant. J’ai contacté la propriétaire ; on a conclu des accords et après trois mois de travaux, on a ouvert ! Et c’est ainsi qu’en décembre 1995 « La Ruelle aux Baladins » a vu le jour !
Les spectacles que vous présentez en général ici, à la Ruelle aux Baladins (cette question nous intéresse particulièrement en tant que théâtre amateur, puisque cette interview est faite pour l’ANTA), prenez-vous uniquement des troupes professionnelles ou est-ce que des troupes de théâtre d’amateurs ont aussi une chance de se produire ici ? Et avez-vous également un choix particulier pour le répertoire de théâtre que vous aimez présenter ?
Disons qu’en dehors des productions du théâtre de l’Aube, devenu maintenant un théâtre en résidence ici à la Ruelle aux Baladins, j’invite des spectacles de l’extérieur, car il est impossible d’assumer tous les week-ends de l’année, c’est évident.
Mais vous me parlez de professionnel ou d’amateur : je m’en moque royalement ! Je vais voir les spectacles : ils sont bons ou pas bons. Je ne demande jamais d’ailleurs « Êtes-vous professionnels, êtes-vous amateurs ? » Le spectacle est bon. L’infrastructure fait que c’est adaptable ici, sur un petit plateau. Pour les conditions financières (c’est un peu moi qui les impose), ils sont d’accord ou pas. Alors, c’est OK ! Pour moi, seuls la qualité et le talent priment.
Quant au choix du genre de spectacle, là, ce n’est pas un choix personnel. Je suis toujours un peu le porte-parole du public. C’est-à-dire que je sais comment va réagir le public de La Ruelle aux Baladins. Je me dis « Ça, ça va leur plaire sans problème » ou « Ça, on va essayer quand même », ou bien « Ça ne leur plaira absolument pas ». Ce n’est pas du tout un choix personnel.
Vous avez aussi un cours d’art dramatique que vous dispensez ici et qui est assez bien suivi d’ailleurs d’après ce que nous savons. C’est une chose qui est, à notre sens, précieuse. Est-ce que ce cours est donné parce que cela vous permet de recruter vous-même des comédiens pour le théâtre de l’Aube ou est-ce que votre but est d’amener des gens au théâtre, qu’il soit amateurs ou pas ?
Disons que la réponse est multiple. La première chose, c’est que, si j’anime ce cours, c’est que j’aime ça. Ça me permet de « créer ». Car c’est pour moi une chose essentielle et, comme on ne peut pas toujours créer au théâtre parce qu’il y a tout de même des impératifs (on ne peut pas monter des spectacles tout le temps), là, je crée des comédiens, autant que je puis évidemment.
Mais, – deuxième élément -, c’est aussi une source de recrutement pour le Théâtre de l’Aube dans le sens où, quand j’ai besoin de comédiens et quand des élèves sont arrivés à maturité théâtrale, étant donné que je les connais, je sais exactement ce que je peux en obtenir et je vais les chercher à coup sûr.
La troisième question, c’est « amener les jeunes au théâtre », ça, c’est beaucoup moins évident parce qu’on dit toujours qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus mais, s’il y a peu d’élus, c’est surtout un manque de motivation parce que, oui, ils veulent faire du théâtre, c’est évident ; ils viennent s’inscrire au cours mais ça s’arrête là. Ils attendent de moi le coup de baguette magique qui va les transformer en comédiens mais, quant à faire l’effort pour réaliser ce qu’on leur demande, c’est autre chose.
Fait caractéristique, c’est qu’ici tous les élèves ont 50 % sur tous les spectacles, ce qui n’est pas à dédaigner, mais il est très rare, à part les adultes, que les ados viennent voir les spectacles. Ils veulent bien venir au cours pour qu’on les « transforme » en comédiens, mais ils ne vont pas voir de spectacles. Je les interroge en leur demandant s’ils vont voir des spectacles ailleurs. « Non ! » Alors, je ne comprends pas. À partir du moment où on est passionné par quelque chose, on s’intéresse à ce quelque chose ; mais là, je ne comprends pas. C’est ce que j’appelle « des touristes ».
Nous avons parlé théâtre, mais je vois que, dans votre programmation, il n’y a pas que du théâtre : il y a aussi des soirées plus musicales. Est-ce parce que c’est une opportunité ou est-ce que vraiment vous êtes aussi, probablement comme beaucoup d’artistes, attiré par la musique ?
Lorsque j’ai ouvert la Ruelle aux Baladins, il y a maintenant quinze ans, c’était un peu naïf de ma part, je voyais la programmation sous trois aspects. D’abord théâtre, poésie et puis ce que j’appelais « divers ». Entraient dans ces divers ce qui est chansons, humoristes, etc.. C’était mon idéal : ne pas être une boîte à vaudevilles, fournir des spectacles pour tout le monde et pour tous les goûts. J’ai très vite déchanté. Question poésie, j’ai dû abandonner rapidement. Il n’y avait personne dans la salle.
En plus, il y avait la Maison de la Poésie ; certes, o on peut très bien être à deux dans une même ville, mais, à La Ruelle aux Baladins, il n’y a rien à faire : ça ne fonctionne pas.
De toute façon, j’en avais déjà fait l’expérience précédemment puisque, avant d’ouvrir la Ruelle aux Baladins, j’avais tourné avec des spectacles de textes et, quand je voyais l’organisateur de ces tournées préparer un tas de sièges (cela me faisait toujours un peu rire), je lui demandais « Où allez vous comme ça ? » et il me répondait « On ne sait jamais ! » et je lui rétorquais « Écoutez, si on a trente personnes, on est contents ». Et c’est vrai : on était très contents si on avait trente personnes dans une grande salle. Parce que c’est comme ça ! Je pourrais vous expliquer pourquoi la poésie n’attire pas, mais ce n’est pas le propos.
J’ai bien compris qu’on était dans une impasse et j’ai progressivement été contraint d’abandonner les chanteurs compositeurs et les humoristes. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il y a la concurrence de la télé. Maintenant, vous allumez votre poste n’importe quel jour, vous tombez toujours sur un chanteur ou un humoriste quelconque ; dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi les gens se dérangeraient pour venir ici voir Tartempion, un gars qu’ils ne connaissent absolument pas alors qu’ils peuvent voir Pirette ou n’importe quelle vedette à la télé.
En définitive, je peux affirmer que notre public est essentiellement théâtre. Cependant, comme je le disais tout à l’heure, je ne veux pas être une boîte à vaudevilles parce que les gens veulent absolument rire, rire, rire. Évidemment, on est bien obligés de leur fournir ce qu’ils demandent mais je désire aussi – car j’ai une certaine prétention à la « culture » – ne pas leur fournir rien que du rire.
Je leur en donne néanmoins parce que je pars du principe qu’il faut d’abord amener les gens au théâtre par n’importe quel moyen. S’il leur faut du vaudeville, on leur donne du vaudeville pour les décrocher de leur télé et les amener au théâtre ; ensuite, une fois qu’ils ont pris l’habitude d’y venir, de temps en temps on leur donne quelque chose d’un peu plus sérieux qui porte plus à la réflexion. Mais il faut opérer cette transition très progressivement et de temps en temps pour que cela porte. Donc, dans ma programmation, il n’y a pas que du vaudeville ; je tente par moment d’apporter quelque chose d’un peu plus grave ou « sérieux ». Mais je suis surtout heureux de faire plaisir à mon public et je travaille dans ce sens car un théâtre perd toute sa raison d’être sans le plaisir qu’il procure à son public.
Merci, Monsieur Rochette, de nous avoir consacré quelques instants de votre temps !
Propos reccueillis par Miette VRITHOFF,
présidente de « La Chimère » et administratrice de l’ANTA
La Ruelle aux Baladins ASBL
Adresse : 31, rue Général Michel 5000 Namur
Téléphone : 071/43.00.32
GSM : 0495/22.77.45
Mail: laruelleauxbaladins@skynet.be
Site : www.laruelleauxbaladins.be